Semaine 1

10 – 15 octobre 2016

Le ciel est bas, maussade, le temps est à la pluie. En arrivant sur les routes du pays Mélusin, aux abords du marais Poitevin, qui semble bien porter son nom avec cette météo, nous pensons à la campagne des présidentielles américaines qui bat son plein de l’autre côté de l’atlantique…

PIXEL[13] s’installe ici pour six semaines en ordre dispersé, c’est-à-dire que nous choisissons d’opérer par équipes, selon nos disponibilités. Cette première semaine, ce sont trois membres de PIXEL[13] qui sont présents sur le territoire, pour amorcer cette résidence artistique : Sabine, Alex et Karel.

La semaine prochaine, ce sera au tour de Julie et de Fabien, accompagnés de Karel, d’arpenter le Pays, pour une première quinzaine d’immersion, d’observation, de prise de contacts et de captations tous azimuts.

L’internet sera le support de notre création ainsi que le moyen d’échanger entre les membres de l’équipe sur place et les autres, afin de tous rester en contact avec le projet. Un enjeu d’expérimentation supplémentaire dans nos modes de travail et de création collectifs.

La première séance commune sur Skype est dédiée au choix du titre du projet : « Mélusin visible », et sa traduction graphique en un logo sommaire, qui sera utilisé sur les différents supports de communication que nous allons diffuser (flyers pour inviter les habitants à des temps de rencontres, site internet, etc). Le logo met en forme notre intention sur ce projet, ces contours, ces contraintes. Mélus-in-visible, avec un pointage géographique sous le « in » : aussi bien présents, identifiés, que difficilement visibles (six semaines à trois sur un territoire vaste et peuplé de onze mille âmes environ). On ajoute une baseline « cartographie élémentaire », car nous comptons axer également nos recherches et nos productions autour des quatre éléments fondamentaux – eau, terre, air et feu. Ce sont des prétextes et des pistes pour construire une carte sensible et éphémère, également empreinte des notions plus évidentes que sont les sources, les ressources, eles limites, les contours, les frontières… Le jeu de mots « Mélus-in-visible », avec le préfixe « in » (« dans », « à l’intérieur » en anglais) nous permet aussi de rappeler par la sonorité la fée Mélusine (la star locale), et par extension les mythes, les monstres et l’imaginaire, autres axes que nous proposons à l’aube de notre projet.

Lundi 10 octobre, début d’après-midi, rendez-vous à Lusignan avec Fabien, en charge entre autre de l’animation avec les jeunes du Centre de loisirs. Nous visitons à cette occasion les locaux qui seront notre base : les anciens bureaux de la Communauté de Commune, à l’étage, moquette, parois en verre et look des années 80. Préfiguration des open spaces, des espaces de co-working à la mode en ce début de 21ème siècle. L’espace est chauffé, ferme à clés, et nous pouvons l’occuper à notre convenance jour et nuit. Par contre, contrairement à nos attentes, nous n’avons pas de connexion internet ! Le développement de la partie web du projet s’annonce ardue !

Les voisins sont  « L’atelier du soleil et du vent ». Ils opèrent sur les domaines de l’éco-construction, les énergies renouvelables, de l’autonomie énergétique… ils inventent, récupèrent et transmettent… Il y a Florent, Domotille, Antoine, Maeva… Très accueillants, ils nous proposent de partager leur connexion Wifi et de tenter de nous connecter depuis nos locaux situés à une trentaine de mètres. La perspective de ce voisinage actif tout au long de notre séjour ici nous réjouit, d’autant plus qu’ils disposent d’ateliers techniques très équipés, qu’ils nous invitent à utiliser si besoin.

Le lendemain, nous rencontrons James, directeur de Rurart et Sandra en charge de Spray auprès de la Communauté de communes. Première réunion où l’on parle de notre future création au présent !

Nous prenons concrètement possession de notre espace de travail. Déchargement, rangement des locaux pour évacuer les documents, poubelles et matériels oubliés du déménagement et laissés ça et là.

On fait le vide pour pouvoir s’approprier les lieux, s’organiser, se projeter. Les étiquettes des bureaux redeviennent vierges.

C’est aussi une journée de cadrage, nécessaire pour préparer nos interventions, pour exister collectivement et définir le processus de travail et les grands principes de l’architecture du site web avec l’envie de travailler le plus possible avec des outils open source, de fabriquer des images en Creative commons…

Le territoire, le cadre, le projet  s’enracinent petit à petit.

Les autres rencontres de ces quelques journées s’articulent autour des membres du personnel de la Maison des services, dans le centre de Lusignan : Marjorie à l’accueil, très prompte à nous fournir des éléments clés pour le début de notre activité (plans, informations diverses), David comptable et dépanneur réseau ! D’autres espaces de bureau nous sont proposés ici, associés à des moyens techniques mis à notre disposition et non négligeables (impressions grand format notamment), mais nous décidons pour l’instant de rester dans les anciens bureaux, désaffectés, car ils sont d’avantage « neutres », leur visibilité est moins associée à des institutions. Nous pouvons de plus y travailler hors des heures de bureau.

Nous amorçons notre démarche de collectes : images, témoignages, traces… Nous l’envisageons dans la perspective d’un rendu « final », qui devrait être une succession/juxtaposition d’impressions, de tableaux imbriqués les uns dans les autres… autant de productions et de restitutions qui se croiseront sur le site internet, et lors d’un moment public dont nous ne savons encore ni la forme ni le lieu.

Nous amorçons également l’organisation d »une série d’ateliers proposés à différents publics : enfants, adolescents, adultes… Il s’agit donc de contacter un maximum d’acteurs du territoire, de leur expliquer notre démarche, nos pratiques, et de caler sur nos temps de présence des demi-journées d’ateliers artistiques. Au programme, parmi nos champs d’action respectifs : light-painting, banc-titre, vjying, travail du son, linogravure, impression en typographie bois et plomb…

« La conception d’une carte a pour but de rendre visible l’invisible » J.H. Lambert

C’est en voiture que débute ce repérage du territoire, pour mieux se situer « dedans », mais aussi en avoir une vision globale et filmer les paysages.

Des plaines, des champs, des bois, la forêt, des cours d’eau, des mares, des chemins, la route, l’autoroute, la ligne de chemin de fer…

Des parcelles agricoles immenses, impressionnantes. Les paysans sont-ils les propriétaires ? Ou bien juste producteurs/activateurs au service d’autres plus importants qu’eux ?

Des châteaux d’eau, des silos, des éoliennes et quelques moulins, comme des phares au loin ou des ossatures, pour développer un imaginaire poétique et féérique.

Un sillon important qui traverse ce pays : la Vonne, affluent du Clain, que nous projetons de suivre, pour des vues au ras de l’eau et une découverte animale et florale, au plus près des éléments.

Un chemin de fleurs incroyable, tapis de cyclamens violets/roses, une ballade dans un conte de fées.

Un site gallo-romain, des promesses de force et d’énergie importantes dans les sols, liées au passé.

Les couleurs de l’automne, la brume, la lumière, très belle des fins de journée en cette saison encore épargnée par le froid. Un bien ou un mal ? Ce réchauffement climatique, petit à petit s’installe dans les habitude, faisant son œuvre…

Au détour d’un pont, on croise un indien avec ses branches sur le dos, au milieu de la route, un elfe sorti des bois, un yokaï, sorti de nul part et disparu peu après. Un vestige d’une époque, pas si éloignée à l’échelle de l’Histoire, où le pétrole ne régissait pas tous les déplacements, tous les chargements…

De grands espaces donc,  des paysages très beaux, et assez déserts, comme le sont de nombreux paysages de la France rurale. Des maisons abandonnés, à vendre, des hameaux en perte de vie, face à des lotissements neufs, posés là sans prise en compte apparente du pays sur lequel ils sont construits…

Une réflexion nous vient, comme souvent dans pareil cas de figure… cela semble sur le papier si simple d’accueillir ces populations en exil dont on nous parle tant, ces migrants qui fuient leurs propres terres, leurs propres maisons et leurs propres paysages, comme d’autres migrants avant eux, nous et d’autres, fuyant des territoires occupés par un envahisseur, un tyran, une guerre…

Karel décide de travailler en macro, sur de petites échelles : filmer la terre de près, son agitation mue par les insectes et les écosystèmes, comme un écho à ces grands paysages, à ces dimensions importantes. Pour alimenter le blog, c’est la technique du stop motion qu’il utilise.

Nous prenons le temps de nous immiscer sur le marché de Rouillé le vendredi matin, de perturber les habitudes, croiser quelques personnes, discuter et échanger de l’inspiration, expliquer aussi qu’on est là pendant six semaines, tels des géographes des premiers temps…

On déploie notre dispositif : le camion, un pendrillon noir, une carte, un fil à linge avec des torchons imprimés de photos montrant quelques unes des actions de PIXEL[13] depuis 2003, une table, des jus de pommes, du café et quelques gâteaux…

Derrière notre stand, se dresse cette très grande et ancienne carte du territoire, extraite du fameux fond « Cassini » datant de 1750. Nous l’avons trouvée dans les locaux qui nous sont attribués et elle permet, ce jour, d’accrocher les habitants sur le marché.

La carte, ça intrigue, fascine, interroge, ça fait causer. On rencontre Claudette qui s’occupe du placement sur le marché, Madame Braconnier (agent de la Police Rurale), Robert un vieil habitué, Philippe un vendeur de fromages de chèvres bio…

Nous achevons cette semaine avec un repas en présence de Vincent et Nicolas, membres de l’équipe de Rurart (Centre d’art contemporain de Rouillé). C’est l’occasion de parler à nouveau de nos intentions et de découvrir ce lieu incroyable et rare.

Fin de la semaine 1.

A suivre…

[ssba]