Semaine 4

31 octobre – 4 novembre 2016

Nous avons dépassé la mi-parcours de cette résidence. Beaucoup de pistes lancées, de belles ballades dans ce territoire fertile, et de belles rencontres. Il faut continuer les captations et le recueil de paroles. Quelques tournages impressionnants en perspectives et beaucoup de montages. En cette période d’automne, les feuilles tombent inexorablement. C’est beau.

Cette semaine, Karel est seul en résidence. Les collègues sont sur d’autres missions, même si ils continuent de s’agiter à distance pour préparer la semaine qui suit.

Cette 4e semaine est donc rédigée à la première personne. En ces temps d’élection, parler de soi à la troisième personne rappelle de mauvais souvenirs, des souvenirs trahis… de gens qui disaient « nous » et qui pensaient « je ». Dont acte.

Lundi, j’arrive à Lusignan, la journée est consacrée au montage et à la ré-écriture des textes du blog. À mesure que le temps passe, j’ai une drôle d’impression : c’est comme si j’étais déjà venu ici… Mais c’est le cas ! C’est loin, enfoui dans les méandres de ma mémoire. C’était en 1997, pendant le festival Aquarock à Lusignan. Une terre de musique depuis longtemps et qui continue de l’être aujourd’hui. Je travaillais comme formateur vidéo avec Myriam, de la Comcom. J’y rencontrais un stagiaire venu de la Mission locale qui avait arrêté l’école trop jeune. Il avait un talent énorme qui ne s’est, à ce jour, pas démenti. Allez voir des extraits de son travail, ça vaut vraiment le détour ! Ce stagiaire, dont je suis toujours l’ami, a depuis longtemps dépassé le maître : Tonytruand !

Je fais aussi un saut dans le code du site pour corriger des choses qui ne me plaisent pas. Fabriquer un site web en direct, dans l’urgence, au cœur d’une création artistique, visible sur un maximum de navigateurs, sur smartphones et autres tablettes… est une vraie gageure ! En fait, je pourrai me consacrer uniquement à ça, tellement c’est complexe, mais ce n’est pas possible. En cette veille de pause nationale, je ne croise pas grand monde. Karlito, le sculpteur métal que je voulais filmer n’est pas disponible en ce début de semaine. On verra plus tard…

Mardi, on est le 1er novembre. C’est la Toussaint. Par la fenêtre du bureau je vois le cimetière de Lusignan, l’activité y semble dense. Je décide d’aller y faire un tour. Avec mes outils, même si je suis bien conscient que ça peut choquer certaines personnes.

À peine arrivé, je tombe sur une plaque commémorative qui rend hommage aux résistants tombés dans la forêt domaniale de Saint-Sauvant évoquée dans le billet de la semaine 1. Ils sont sept à reposer ici, les autres ont été enterrés à Celle-l’Evescault et à Saint-Sauvant. Je fais mon pèlerinage sur ce Chemin de la Liberté à la recherche de leurs sépultures. Il y a de nombreuses personnes dans les allées. Il fait bon, trop bon. On se croirait à Pâques ! Je croise une famille venue montrer aux enfants les vieilles tombes du 19e siècle que l’on peut voir ici. C’est décidé, l’an prochain, j’irai sur les tombes de mes aïeuls avec mes enfants… ça fait tellement longtemps.

Je me surprends à avoir des pensées étranges, liées à ce contexte fort. Je m’impose de faire quelques chose sur le camp d’internement de Rouillé et sur le fort retranché de ces combattants anti-fascistes.

Je décide de retourner à la Grotte de Malvaux pour terminer ce pèlerinage. Mais on a changé d’heure et la nuit tombe vite. J’emporte avec moi quelques bougies, curieux de voir cette grotte à la lumière d’une flamme… La sainte sculptée qui trône au pied de la grotte est vraiment mystique avec cette lumière ! Pas de lune, pas d’étoile, pas de lampadaire, il fait vraiment sombre… Je suis seul au monde ! C’est bon.

Je rentre au gîte Maupertuis, près de la mare. Maupertuis, ça veut dire « Mauvaise terre » m’explique notre logeuse, Amandine. Je rentre dans l’allée et je ne peux m’empêcher de me demander si le voisin de nos logeurs ne travaille pas dans une entreprise qui vend de l’électricité. Il a des lampadaires extérieurs allumés de toute part. On dirait Dallas… by night. C’est n’importe quoi, franchement. J’allume la téloche, LCP et tombe sur un documentaire de Serge Moati sur les franc-maçons. J’apprends plein de choses sur les rituels. Incroyable ! Comment a-t-il pû filmer ça ? Je comprends quelques minutes plus tard  : il a lui-même été franc-maçon et dès le plus jeune âge, à 18 ans. N’empêche ! J’aime bien ce type et les films qu’il fait !

Le documentaire suivant est beaucoup plus sombre. Il traite des gaz de guerre et des massacres perpétrés avec leurs utilisations. Les kurdes ou encore les irakiens, les syriens… pour ne citer que les derniers peuples qui ont été victimes de ce type d’arme.

Je sombre dans le code html en parallèle…

Mercredi, je passe et repasse des coups de fil pour caler des tournages. Je relance les pistes, j’en zappe certaines. De toute façon, on ne pourra  pas tout faire. Il faut réduire la voilure. Voilà maintenant une semaine et demi que je dors en moyenne quatre heures et je ne vais pas tenir longtemps à ce rythme là… Personne ne le peut ! En vérité,  je pense vraiment que ceux qui nous disent le contraire et nous incitent à plus de productivité nous mentent. Je songe aussi à mes voisins agriculteurs qui avant de me connaître pensaient que les intermittents du spectacle n’étaient qu’une « bande de feignasses »… Pourtant, entre culture et agriculture, il n’y a que l’épaisseur d’une feuille de papier cigarette. En 2003, à l’époque où les troubadours étaient dans la rue pour bloquer les festivals estivaux français pour faire entendre leurs voix, il y eu « Le Cri » (cri collectif des intermittents en lutte) et un discours mémorable de Jean Georges, grande figure des Arts de la rue. Dans ma mémoire il disait à peu près ça : « le jour où les agriculteurs rejoindront la lutte de ceux de la culture, le pouvoir tremblera… ».
Je fais une parenthèse (Je vais vérifier mes sources avant d’aller plus loin. En fait il disait ça, Jean Georges, à Avignon, la veille de l’ouverture du Festival :
« Combattants de l’Art, la Culture est en danger ? Et bien, rendez dangereuse la Culture !
Tremble, Ministre de la culture sans art, désormais désarmé. L’artiste est une grenade et tu l’as dégoupillée. L’art est une arme de construction massive. L’art est vivant, réveillons les morts ! »
Malgré mes sources, je sais qu’il avait également relié l’agriculture à la culture;
Je ferme la parenthèse).

Miam-miam ? Non, pas encore, il faut que j’écrive.

La journée est paisible et j’en profite pour faire quelques tableaux que vous retrouverez dans le site. Personne aux alentours de notre bureau, que j’ai investi depuis le début de la semaine puisque je peux enfin me connecter au réseau. Je filme un vieil arbre mort aux abords de la fameuse cicatrice de bitume qui relie Poitiers à Niort. De jour comme de nuit, ça roule, ça roule.

Un autre tableau en ce début d’après-midi, la parabole de verre de l’Atelier du soleil et du vent. Composée d’une myriade de petits miroirs, elle me fait vraiment rêver, même si je ne sais pas vraiment à quoi elle sert. Elle est belle, vraiment belle… Il faut vraiment faire un truc avec toute cette bande !

Je continue d’organiser mes tournages. Pas facile avec ce pont à rallonge… les gens sont en congés. Je croise simplement Floran de l’Atelier. Il m’aiguille sur un possible tournage mardi prochain lors d’une soirée « réparation » où on lutte contre l’obsolescence matérielle… Ce sera avec Antoine et Mæva, à voir…

Dernier tableau, pendant que mon ordinateur fait des exportations. Je scotche notre carton découpé « Ailleurs » sur la fenêtre d’accueil de nos bureaux. Bizarre, pourtant, je me sens plutôt bien.

20h00. Je rentre au gîte, la connexion web du bureau ne fonctionne plus. Benoit, l’archiviste de la Comcom n’est pas là. Impossible de rebooter cette connexion. Un signe, encore un.

Je prends la route. J’arrive dans ma maison d’accueil. Je branche l’ordinateur sur la table du jardin à l’extérieur, face à la mare où nagent des carpes immenses. C’est paisible. Je lance le manger. Je suis seul, c’est donc spartiate. J’allume la téloche. Les membres de PIXEL[13] ne se nourrissent pas uniquement de pixels, même si nous en mangeons beaucoup…

L’une des seules chaînes que je supporte, c’est LCP qui diffuse des documentaires à foison. Pour moi, la télévision est un outil magique mais encore faut-il l’utiliser à bon escient. On sait, depuis les années 50, ce que produisent les images animées et le son sur le cerveau des téléspectateurs. Des ondes Alpha !  Les mêmes que notre cerveau émet lorsqu’il en état d’hypnose légère, ou encore lorsque nous sommes sur le point de nous endormir. En somme, peu importe le contenu, le médium colonise nos esprits, que nous le voulions ou non. Tous les spécialistes du cerveau le savent mais personne ne le dit vraiment. Et on continue de ne pas enseigner l’art de regarder des images, et encore moins d’en fabriquer pour mieux aiguiser son regard et se protéger ! En 2016, toujours pas d’éducation à l’image, ou quasiment pas, et en encore moins d’éducation aux réseaux et à leur utilisation.
C’est invisible, et donc c’est indolore. Un petit peu comme le nucléaire en somme. Voilà soixante piges que ça dure… Et aujourd’hui, le nouveau paramètre c’est Youtube (propriété du désormais nouveau dieu mondial Google). Et là, c’est un autre niveau, les images animées et les cerveaux… c’est à grande échelle, très grande échelle…

Je reviens à cette téloche… Le présentateur reçoit Jean-Frédéric Poisson, candidat à la primaire de droite et du centre. Toute la soirée est consacrée à ce que la chaîne appelle « Zap Elysée 2017 ». Une bonne soirée en perspective…  À chaque phrase que prononce l’invité, j’ai l’impression d’être dans le film « Invasion Los Angeles » de John Carpenter. Et ça fait peur, vraiment peur.
Tout va bien, ça touche à sa fin. L’émission qui suit, c’est ambiance « médecine, robotique, exosquelette », jargon « homme augmenté » et pub pour le transhumanisme. Nathanaël, jeune chercheur au CNRS est l’invité de l’émission. Lui aussi il m’énerve. Intéressant mais je mute le son pour écrire.

J’écris. Je lis. Je relis. Je corrige. Je regarde la pluie tomber sur la surface de la mare. Ce coup-ci, miam-miam. Dédicace à toi Myriam « miam-miam », ex de la Comcom… Ça a cuit et recuit pendant que j’écrivais ces lignes. C’est bon, les pattes à l’andouillette !

La téloche déverse toujours son lot de nouvelles. Je suis toujours sur Public Sénat, c’est l’heure d' »On va plus loin » avec un proche d’Emmanuel M., futur candidat à la présidentielle. J’arrête de manger, je reprends le clavier. Ce proche, c’est un industriel qui m’explique pourquoi Emmanuel, c’est ce qu’il y a de mieux.

Je retourne manger.

Il est tard. La téloche recommence à être intéressante. Dans l’émission « ça vous regarde », le thème est « Banlieues : souvent draguées, toujours zappées ? » Une invitée, membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel, invective un parlementaire PS : « Donnez-nous les lois qui nous permettront de lutter contre la discrimination dans les médias de ce pays, cela changera beaucoup de choses ». Bravo madame pour ce courage.

L’histoire de ce diagnostic culturel, évoqué par Sandra du Pays Mélusin, est inversement proportionnel à ce que je pensais produire : plus de paroles et moins de mots. WordPress m’indique que je viens de dépasser la moyenne de mots que nous avons produit jusqu’à ce jour sur le blog. Stop. Je vais faire des tableaux, des images ! De toute façon, les programmes TV dérapent. C’est l’heure du fait-divers. Au menu : les contre-façons de marques prestigieuses…

On est déjà en milieu de semaine. Ce matin une épaisse fumée dans les champs m’attire. Je cherche la source, c’est une entreprise de fabrication de charbon. Le propriétaire m’interdit de la filmer.

Rien de grave car aujourd’hui, je filme Alexis. Il est réalisateur, technicien audiovisuel, musicologue… et il vit à Cloué.

Vous pouvez écouter l’entretien avec lui, et voir quelques-unes de ses productions. C’est par ici.

Pour le contacter c’est alexis.blithikiotis@gmail.com

Vendredi, grosse journée, avec un tournage dans un silo, celui que j’ai appelé le « silo-colosse de Lusignan ». Ce géant de béton est sortie de terre dans les années 70. Il est le témoin muet de l’évolution de l’agriculture. Je fais le tour avec Pascal, responsable du site.

En soirée, je suis accueilli chez Elodie et Karlito. Je vais passer une bonne partie de la nuit à filmer cet incroyable artiste sculpteur / performeur. Lui, il se présente comme un recycle-artiste. Son domaine est le métal, la récupération de métal, avec lequel il crée des œuvres animées. Ce soir là, il travaille sur une guitare Gretsch pour la pierre tombale d’un ami…

Vous pouvez écouter mon entretien avec lui et voir quelques-unes de ses autres productions. C’est par ici.

Pour le suivre c’est facebook.com/madagascart

Fin de la semaine 4.

A suivre…

[ssba]