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Semaine 6

14 – 19 novembre 2016

Nous sommes arrivés sur la dernière ligne droite de cette résidence. Changement de gîte. Nous sommes à Saint-Sauvant au gîte Agaïl comme des coqs en pâte. Nous sommes enfin tous les cinq pour finaliser ce travail de création entamé il y a six semaines. Au programme, il y a la sérigraphie de notre carte sensible avec des encres fabriquées à partir des matières premières trouvées lors de nos balades : terres diverses, glaise issue de la tuilerie, charbon… Nous finalisons le site et fabriquons notre labyrinthe de tableaux, de paroles et de mots…
La restitution se prépare pour accueillir le public et montrer notre création.

Si vous souhaitez nous laisser un commentaire, vous pouvez nous envoyer un mail à spray@pixel13.net

Belle soirée de restitution, les rencontres fusent… dans tous les sens. Les idées aussi.

Semaine 5

6 – 12 novembre 2016

Julie et Fabien sont de retour avec Karel pour cette semaine 5. C’est déjà l’avant dernière ! Alors que l’on commence à être vraiment « dedans », que les rencontres des premières semaines portent leurs fruits et débouchent sur de nouvelles recherches, sur des reportages riches et passionnants, il faut déjà conclure, amorcer le travail de synthèse, et surtout arrêter la collecte… Symptôme des temps actuels et de la vitesse à laquelle on nous incite à vivre les évènements, il faut maintenant accélérer, brûler les dernières étapes, ne plus prendre le temps… avant de conclure, avant de s’en aller, avant de passer à autre chose et quitter l’approche sensible, lente et immersive que nous avons connue depuis octobre sur ce territoire désormais familier.

Sur cette période longue et courte à la fois, beaucoup d’images, de sons, de rencontres ont été collectées. Au fur et à mesure de notre immersion, les paroles se sont invitées : après les tableaux graphiques et la perception sensible initiale, les humains et les mots ont fait leur entrée dans ce périple. On commence à comprendre d’avantage le pays mélusin et ses habitants, sa richesse et ses paradoxes.

Le blog réduit sa voilure : la captation qui implique les temps de rencontres et d’écoutes nécessitent dans cette dernière phase un temps de digestion, d’assemblage. Il faut extraire la substantifique mœlle de la récolte, et ce processus d’analyse réfléchie et technique requiert du temps.

Le retour dans le pays pour cette cinquième semaine se fait sous le signe de l’avancée de l’automne, humide et nocturne. Le changement d’heure récent apporte une lecture différente des rythmes et des paysages. La population se fait plus rare sur les extérieurs, mais cela tombe bien : nous devons également nous confiner pour cette phase de travail. La semaine débute par des retrouvailles dans un bureau glacial, une fuite d’eau et l’absence du réseau internet. Karel nous raconte sa riche semaine 4 en solitaire. Migration à Rurart le temps d’un repas, puis d’une après-midi de montage et de publication sur le site, au moyen d’une connexion internet opérationnelle.

Julie et Fabien se concentrent sur les ateliers, initiés lors des semaines précédentes. Au programme, une rencontre au foyer des anciens de Rouillé et un atelier avec les enfants de CM de l’école primaire de Saint-Sauvant.

La structure pour personnes âgées de Rouillé, La Rose d’or, est installée dans une ancienne ferme rénovée au centre du bourg. La cour est en travaux : une terrasse accessible est en cours d’aménagement et un jardin est en préparation.

Murielle, la directrice nous accueille et nous présente les différents projets de la maison. Cet endroit est paisible, agencé avec du mobilier chiné, très loin des standards froids de ce type d’établissement : on s’y sent chez soi, et c’est une volonté affichée par la directrice au bénéfice de ses occupants. L’espace est ramassé autour de sa cour, mais également très ouvert sur l’extérieur, du fait de sa situation centrale au sein du bourg et par les projets initiés par la structure. La remise en marche du four à pain ancestral, situé dans la salle d’activité, offre aux résidents la possibilité de revivre des moments associés à leur jeunesse, mais surtout aux habitants du village, petits et grands, de profiter de ce foyer pour cuire pizza et tartes. Cela permet de recréer de manière pertinente les conditions du vivre ensemble, autour du partage de ce bien commun chaleureux et convivial. Nous aurions souhaiter participer à cet événement de manière opportune, mais le prochain foyer est prévu pour une date ultérieure à notre fin de résidence… encore un feu qui aurait pourrait prendre place dans notre carte du territoire. Nous passons une bonne partie de l’après-midi autour de la carte IGN du territoire, à évoquer des souvenirs d’enfance, des parcours de vie. Le mot « culture » revient souvent dans la bouche des pensionnaires : nombreux sont ceux qui ont été en effet agriculteurs ou enfants d’exploitants agricoles. Le travail de la terre, même s’il se perd inexorablement au fil de cette époque contemporaine, reste un élément culturel. L’emploi de ce mot fort, dont le sens aujourd’hui est d’avantage lié aux distractions artistiques et à nos préoccupations d’artistes et de citoyens, nous touche : que peut devenir un territoire ou un peuple s’il n’honore pas sa culture ? Qui existe vraiment sans culture ?

Nous concluons cet après-midi par une série de portraits photographiques sur fond noir. Peu enclins au début de notre rencontre à se soumettre à cet exercice, les pensionnaires se prêtent finalement tous au jeu de la pose devant l’objectif, non sans malice. Mission accomplie… mais surtout, chouette moment aux contacts des anciens.

En fin de journée, nous partons en quête des lieux évoqués avec eux lors de cet après-midi, et on retrouve les oies, le lavoir de Crieul et autres vestiges de leurs souvenirs. Le temps est au beau, les tracteurs sont à l’œuvre, à la charrue ou au semoir. La nuit tombe vite et il nous manquera pour ce jour l’exploration du « gouffre du creux fendu », dont la description par Mr Thonneau et Mme Sapin nous avaient rendu curieux.

De son côté, Karel poursuit et finalise les récoltes de paroles et les portraits. Après avoir filmé en long, en large et en travers la Vonne, les marres et les trous d’eau du territoire, c’est à la station d’épuration de Lusignan que nous choisissons de terminer la boucle sur l’eau. De l’excursion en canoë sur la Vonne, au début de la résidence, à la station de traitement des eaux usées, il n’y avait qu’un pas, que nous franchissons avec Vincent, responsable du site. Une balade dans les méandres de l’eau, cette denrée, « bien commun » tombé du ciel, qui coûte maintenant si cher à ses usagers. Qui connait aujourd’hui le circuit de cette ressource, du ciel à nos robinets, nos douches et nos toilettes ? Un univers invisible qu’on a souhaité visiter et faire partager.

Vous pouvez écouter l’entretien au long cours avec lui. C’est par ici.

Suite à la plongée dans ce que les industriels appellent le process de l’eau, Vincent nous ouvre la grille de la Grotte aux fées, une source protégée par un cadenas située sur la commune de Jazeneuil, pour une découverte rare qui vaut vraiment le détour.

Vous pouvez apprécier la visite de cette source, c’est par ici.

Après la poésie des paillettes sur les parois, la magie des fées araignées et les batmans de la Grotte, retour à la réalité de l’époque : on croise les doigts pour l’élection américaine, dans sa dernière ligne droite…

En continuant nos recherches sur la terre et l’eau, nous pointons le site archéologique de Sanxay. Souvent repéré sur les panneaux de signalisation, dans la presse locale et sur internet, comme un élément important de l’histoire du territoire, nous avons tourné autour pendant les repérages sans pouvoir s’y arrêter.

Le temps presse, nous décidons d’y aller le mardi. Prise de contact téléphonique et rendez-vous l’après-midi : l’accueil de l’équipe est chaleureux, et ils montrent un réel intérêt pour notre démarche. Malheureusement, pour des questions de temporalités différentes entre notre projet et les demandes d’autorisation tutelaires, inhérentes au fonctionnement institutionnel du site qui dépend des monuments historiques, nous ne pourrons pas faire d’images ni de sons de ce bien commun historique…

Pour rendre public l’échange avec les archéologues-chercheurs présents sur le site, il aurait en effet fallu les prévenir de notre présence sur le territoire bien avant le début de la résidence. Le maillage entre les institutions locales n’est donc pas encore suffisamment opérationnel, même si les individus qui les animent se croisent et se respectent. C’est dommage, et c’est ainsi, nous ne pouvons pas à notre niveau changer les choses. Mais notre présence et ce manquement aura peut-être permis aux acteurs du territoire de se questionner sur les rapprochements nécessaires à opérer pour une meilleure visibilité et une cohésion profitable à tous.

Nous sommes donc sur ce point doublement « Melusinvible » sur ce territoire… À l’image de cette ville gallo-romaine enfouie sous la prairie, il faudra trouver une manière en creux de le faire apparaître dans notre cartographie.

sanxay

L’option choisie, plutôt que de rentrer bredouille, est de s’acquitter du prix d’entrée comme tout bon visiteur, et de faire une visite bien accompagnée.
Passée la petite maison qui sert d’accueil, de boutique et de lieu d’exposition, nous descendons dans le vallon vers le premier monument immergé du site, le théâtre antique. Notre guide nous parle de l’association de chant qui organise là tous les étés le concert des jeunes, puis du festival d’art lyrique, d’envergure nationale. Les ruines du théâtre sont juste derrière le terrain de la tuilerie, qui a fait l’objet d’une précédente visite de notre part. En creux de vallon passe la sinueuse Vonne, qui d’après les photos du site en période de crue, ne ressemble pas toujours au docile cours d’eau que nous avons emprunté en kayak. La présence de la rivière est une des hypothèses sur les raisons de l’implantation de la cité gallo-romaine à cet endroit. Il s’agit en effet bel et bien des vestiges d’un ville de plusieurs milliers d’habitants, et non d’un seul site culturel comme l’avait théorisé le premier découvreur et « archéologue » de l’endroit à la fin du 19e siècle, le Père jésuite Camille de La Croix. Il entreprit à l’époque les fouilles sur ses propres deniers et s’attela principalement aux trois monuments publics encore visibles aujourd’hui : le théâtre, le temple et les thermes. Ces constructions semblent démesurées, étalées au milieu des prés, traversées par les couches bocagères qui les ont recouvertes au fil du temps. Depuis le haut des gradins du théâtre, les pensées vagabondent et l’on projette son imagination à cette époque de la paix romaine, où les notables de la région achetaient des fonctions grâce à leurs investissements dans les édifices publics. Nous vient à l’esprit la comparaison avec notre période contemporaine, qui voit émerger des édifices démesurés ou arrogants, des salles des fêtes hors d’échelles, des zones artisanales viabilisées, bitumées et éclairées pour du vent, des stades de foot toujours plus grands… D’hier ou d’aujourd’hui, peut-on se fier à la taille des monuments pour envisager ou comprendre les dimensions des villes, ou doit-on plutôt songer à l’ambition de ceux qui en ont financé ou projeté la construction ?

Comme nous le rappelle à cet égard notre guide, il faut s’abstenir de plaquer notre propre vision du monde sur cette époque reculée – dont nous ne savons finalement pas grand chose – au risque d’en faire des légendes qui s’ancrent dans les têtes comme des vérités. Le long travail du Père De la Croix a conduit à cela : initiateur de la découverte par ses fouilles conséquentes, il aussi contribué à falsifier l’histoire du lieu et de son époque. Aujourd’hui, la démarche des jeunes archéologues est différente, elle s’applique à partir de faits prouvés, dans le cadre d’une approche scientifique rigoureuse. La recherche est également appuyée par la photo aérienne, qui permet de lire sur le sol son histoire. Ainsi les prés ne sont plus retournés par des équipes de terrassiers, et on va s’intéresser aux végétaux qui recouvrent les sols, dont le réseau racinaire est différent s’ils se développent dans la pierre ou dans la terre. Le projet sur le site de Sanxay est d’ailleurs de pratiquer des plantations de luzerne, qui révéleront par leur changement de teinte l’emplacement des murs enfouis. Et c’est en prenant de la hauteur que ces variations deviendront des cartes visibles et lisibles. Pour compléter ces recherches, l’équipe met en place des coordonnées GPS afin de vérifier précisément le tracé effectué au 19e.

Au delà du changement de perception du monde grâce à l’observation satellitaire, et de l’intérêt manifeste de ce progrès, on se demande d’ailleurs comment est-il encore possible de nier l’influence de l’homme sur le climat, quand une flotte importante d’observateurs en orbite au dessus de nos têtes est capable d’enregistrer toutes les variations de la planète, de déceler l’histoire passée dans les rides de la terre. Pourtant, parmi les candidats aux plus hautes fonctions, certains servent encore des arguments délirants sur ce sujet…
Un manque de capacité d’analyse des données, ou des œillères et un intérêt plus grand à nier les choses ?

Nous poursuivons la visite par les thermes, aujourd’hui protégés par une toiture en tuiles posées sur une structure bois traditionnelle. Cet édifice de protection est déjà très imposant, et pourtant il n’atteint pas la hauteur qu’avait le bâtiment d’origine, loin de là… Il s’agissait d’un centre thermal de grande envergure avec plusieurs bassins chauffés, et d’une piscine pour la nage. Une telle importance donnée au soin du corps et à l’exercice en raconte beaucoup sur la vie à cette époque. Au dire des archéologues, cet édifice plusieurs fois remanié avait sans doute une autre vocation que son usage « t(h)erminal », sans pour autant statuer sur l’usage primitif du lieu. Seuls restent aujourd’hui visibles les bas de mur, le fond des bassins et ce qui se trouvait dessous, le circuit des fluides. Cette face cachée du bâtiment, avec la circulation des fumées et de la chaleur, les petits couloirs bas de plafond qu’arpentait le petit personnel esclave pour assurer le chauffage des pièces d’eau, donne une idée de ce que pouvait être l’enfer de sa maintenance… Toutefois, avant de projeter notre imaginaire sur les conditions de travail, il faudrait pouvoir expérimenter cette technique de chauffage au bois qui s’apparente à des poêles de masse géants.
Nous achevons la visite par le temple au plan très original, dont la partie la plus sacrée au centre (cella) présente en plan octogonal, prolongé de quatre cotés par un portique périphérique qui donne à l’ensemble la forme d’une croix grecque. Le temple et son enceinte formaient alors un bâtiment imposant, de plus de 20 m de hauteur. La cella est placée sur une source qui coule encore aujourd’hui dans les fondations et qui est guidée dans un réseau souterrain. Nous ne pourrons finalement pas la voir, mais le hasard faisant bien les choses, nous apprendrons le soir que Karel était au même moment les deux pieds dans l’eau, en train de découvrir la grotte au fée, autre source magique du territoire, dont la grille à été ouverte par une rencontre opportune. Les procédures administratives ne peuvent apparemment pas tout verrouiller…

Du côté du site gallo-romain, une discussion s’engage sur notre projet de cartographie du territoire et on dérive sur la façon qu’avaient les gens du 2e siècle de transmettre leurs itinéraires. Fabien évoque son expérience en brousse, au Sénégal, et les cartes très approximatives transmises entre migrants. La géographie n’y est pas respectée, les distances non plus, seules les noms rencontrés (villages, villes et personnes) accompagnent le tracé du parcours, pour des résultats graphiques forts, témoins sensibles des itinérances de chacun.
On pourrait s’attarder encore bien longtemps dans ce paysage, à imaginer la vie dans cette cité enfouie sous la prairie, à envisager le potentiel de découverte que contient ce lieu porté par une équipe passionnée, et à dresser des ponts entre les différentes époques, les manières de vivre, les similitudes et les différences.

Retour à Lusignan, au « bureau », où nous espérons croiser les voisins de l’Atelier du soleil et du vent. Il nous semble important, depuis notre arrivée sur le territoire, de capter leur parole pour la glisser dans le projet : leurs recherches sont proches de nos éléments thématiques. Mais aucun membre de l’association n’est présent sur place, c’est donc partie remise. Le froid semble rendre difficile en ce moment l’occupation de leurs locaux, de type hangar.

Le lendemain, réveil matinal lugubre… Fabien et Karel mettent les médias en route pour réaliser la victoire de Trump aux Etats-Unis. Privés volontairement de télévision dans nos environnements quotidiens, nous sommes doublement choqués par son élection, tant sa présence à notre petit déjeuner devient intrusive et brutale. La vilaine tête de ce bonhomme, et surtout les perspectives inconnues et assez terrifiantes de son mandat à venir ne nous mettent pas en appétit… Nous écoutons attentivement son discours de winner. Réjouissez-vous brave gens, le messie est de retour. Nous cherchons à comprendre les raisons de l’engouement derrière ses propos populistes, son positionnement protectionniste de repli sur soi revient pour nous à se planquer la tête dans le sable. Qu’un personnage aussi grossier et grotesque, assis sur son tas d’or, devienne un modèle de réussite et représente les valeurs américaines nous donne la nausée. Hillary Clinton n’est évidemment pas irréprochable à nos yeux, et il y a bien un énorme malaise dans nos démocraties. Comment désormais (et depuis quelques décennies) se sentir juste quand il s’agit d’aller prêcher l’engagement concret et sincère vers la démocratie auprès de pays peu scrupuleux, quand on voit la dérive de nos propres sociétés et le spectacle affligeant de cette dernière campagne présidentielle américaine. Celle à venir, de l’autre côté de l’atlantique, ne nous parait d’ailleurs pas plus reluisante, et tout aussi terrifiante…

Ce réveil violent plombe vraiment l’ambiance. On a une grosse envie de rester couché en position fœtale après cette nouvelle mondiale accablante. Karel pleure en fumant des clopes. Il repense à son entretien récent autour du camp d’internement de Rouillé, à la Résistance, au massacre de la forêt de Saint-Sauvant et à son engagement pris le 1er novembre au cimetière de Lusignan (voir le billet de la semaine 3)… Pas moyen de rester coucher. Surtout pas aujourd’hui en tout cas !
C’est donc dans ce contexte que Karel rencontre Madame Rochais-Cheminée, la maire de Rouillé. Elle s’exprime au nom de l’association Adel qui œuvre notamment sur la question du camp d’internement qui a existé ici durant la seconde guerre mondiale. Un camp qui a initialement accueilli des prisonniers politiques (communistes ou anarchistes notamment), des droits communs, des propagandistes, des étrangers. Un site recyclé de nombreuses fois pour de nombreux publics, qui rappelle étrangement de tristes et nombreuses situations contemporaines. Ce témoignage et ce rapport à l’histoire nous semblait essentiels dans notre cartographie sensible.

Vous pouvez écouter l’entretien au long cours avec Madame Rochais-Cheminée. C’est par ici.

Cette semaine est aussi celle de l’immersion dans la matière récoltée la semaine passée. Alexis, le réalisateur, Pascal le responsable du silo-colosse et Karlito le recycle-artiste. Une matière dense et riche que  nous vous invitons à aller chercher et écouter dans cette cartographie labyrinthique. Des entretiens sensibles et bigarrés sur l’art, la création, le territoire… hors diagnostic…
Comme évoqué de nombreuses fois dans ces lignes, le réseau web de la Communauté de Communes ne fonctionne plus. Il aura été opérationnel trois jours seulement sur cette résidence de six semaines. Karel décide de migrer à Rurart, le seul espace du territoire connecté à la fibre. L’occasion de s’immerger dans ce lieu unique qui bataille depuis 25 ans pour défendre l’art dans une zone loin, bien loin des grandes métropoles de la culture. C’est l’occasion aussi de se retrouver avec Isabelle Caplain et sa comparse Marion Caron, jeunes graphistes invitées depuis avril 2016 pour l’édition d’un livre consacrant les faits d’armes de Rurart depuis plus de deux décennies.
C’est enfin l’occasion de passer du temps avec l’équipe de Rurart, avec laquelle nous avons de nombreux atomes crochus sur bien des questions.
Karlito passe voir Karel avec la guitare qu’il fabrique, Alexis s’invite aussi pour nous donner des images du territoire. Merci à eux !

Pour Julie et Fabien, le jeudi est le jour des ateliers au sein de l’école primaire de St-Sauvant, dans la classe de CM1-CM2 d’Elisabeth. La matinée est quasiment entièrement remplie par une présentation de Pixel et une discussion avec les enfants sur nos pratiques artistiques. Les enfants s’intéressent et posent pas mal de questions, à partir de nos premiers aiguillages et les relances d’Elisabeth, qui tenait spécifiquement à ce qu’ils en apprennent d’avantage sur ces questions. Nous nous prettons donc volontiers au jeu, et les conseils sur la préparation d’un logo se mêlent à des considérations sur les difficultés et la richesse de nos métiers d’artistes, ainsi qu’à l’explication de notre démarche sur ce projet : immersion, collecte, synthèse et restitution publique sous forme d’un site internet, d’une édition et d’une installation participative lors d’un moment convivial de type vernissage.
Le repas de midi est pris au restaurant le Poirion, équipement du SEI, association d’insertion à St-Sauvant, qui dispose également d’un gite et d’une activité de travaux et rénovation, l’ensemble étant porté par des membres actifs et tenu par des personnes en parcours de réinsertion. C’est pour nous l’occasion de rencontrer quelques uns des membres de ce projet, notamment Amélie la directrice, ainsi que Vanessa, chargée de mission d’insertion et responsable de la cuisine, et Christophe, serveur au restaurant. La visite du gîte nous permet de cibler en priorité ce lieu pour la sixième semaine de présence en Pays Mélusin, tant pour les capacités d’accueil, la qualité de la rénovation et des équipements, la souplesse et l’ouverture d’esprit des personnes rencontrées, la pertinence de leur projet dans une petite commune comme St-Sauvant… et une connexion internet très prometteuse, élément cruellement indispensable pour la finalisation de notre réalisation.
L’après-midi d’ateliers est très dense : les enfants sont invités à pratiquer l’impression typographique à partir de formes découpées et d’encres offset, avant de les animer devant la caméra au moyen d’un ordinateur équipée d’un petit logiciel maison, conçu avec l’outil libre et performant qu’est Processing.
Ils peuvent également réaliser des tomatropes, sur des cartons peints ou dessinés des deux côtés, et les animer simplement, en faisant rouler la ficelle qui les tient entre leurs doigts.
Vers 17h, Julie et Fabien prennent la route du retour, tandis que Karel entame 2 jours et 2 nuits de trip solitaire au sein de Rurart, pour les derniers derushages, montages et uploads de la semaine. Un long travail informatique pour insomniaque.
Fin de la semaine 5.

A suivre…

Semaine 4

31 octobre – 4 novembre 2016

Nous avons dépassé la mi-parcours de cette résidence. Beaucoup de pistes lancées, de belles ballades dans ce territoire fertile, et de belles rencontres. Il faut continuer les captations et le recueil de paroles. Quelques tournages impressionnants en perspectives et beaucoup de montages. En cette période d’automne, les feuilles tombent inexorablement. C’est beau.

Cette semaine, Karel est seul en résidence. Les collègues sont sur d’autres missions, même si ils continuent de s’agiter à distance pour préparer la semaine qui suit.

Cette 4e semaine est donc rédigée à la première personne. En ces temps d’élection, parler de soi à la troisième personne rappelle de mauvais souvenirs, des souvenirs trahis… de gens qui disaient « nous » et qui pensaient « je ». Dont acte.

Lundi, j’arrive à Lusignan, la journée est consacrée au montage et à la ré-écriture des textes du blog. À mesure que le temps passe, j’ai une drôle d’impression : c’est comme si j’étais déjà venu ici… Mais c’est le cas ! C’est loin, enfoui dans les méandres de ma mémoire. C’était en 1997, pendant le festival Aquarock à Lusignan. Une terre de musique depuis longtemps et qui continue de l’être aujourd’hui. Je travaillais comme formateur vidéo avec Myriam, de la Comcom. J’y rencontrais un stagiaire venu de la Mission locale qui avait arrêté l’école trop jeune. Il avait un talent énorme qui ne s’est, à ce jour, pas démenti. Allez voir des extraits de son travail, ça vaut vraiment le détour ! Ce stagiaire, dont je suis toujours l’ami, a depuis longtemps dépassé le maître : Tonytruand !

Je fais aussi un saut dans le code du site pour corriger des choses qui ne me plaisent pas. Fabriquer un site web en direct, dans l’urgence, au cœur d’une création artistique, visible sur un maximum de navigateurs, sur smartphones et autres tablettes… est une vraie gageure ! En fait, je pourrai me consacrer uniquement à ça, tellement c’est complexe, mais ce n’est pas possible. En cette veille de pause nationale, je ne croise pas grand monde. Karlito, le sculpteur métal que je voulais filmer n’est pas disponible en ce début de semaine. On verra plus tard…

Mardi, on est le 1er novembre. C’est la Toussaint. Par la fenêtre du bureau je vois le cimetière de Lusignan, l’activité y semble dense. Je décide d’aller y faire un tour. Avec mes outils, même si je suis bien conscient que ça peut choquer certaines personnes.

À peine arrivé, je tombe sur une plaque commémorative qui rend hommage aux résistants tombés dans la forêt domaniale de Saint-Sauvant évoquée dans le billet de la semaine 1. Ils sont sept à reposer ici, les autres ont été enterrés à Celle-l’Evescault et à Saint-Sauvant. Je fais mon pèlerinage sur ce Chemin de la Liberté à la recherche de leurs sépultures. Il y a de nombreuses personnes dans les allées. Il fait bon, trop bon. On se croirait à Pâques ! Je croise une famille venue montrer aux enfants les vieilles tombes du 19e siècle que l’on peut voir ici. C’est décidé, l’an prochain, j’irai sur les tombes de mes aïeuls avec mes enfants… ça fait tellement longtemps.

Je me surprends à avoir des pensées étranges, liées à ce contexte fort. Je m’impose de faire quelques chose sur le camp d’internement de Rouillé et sur le fort retranché de ces combattants anti-fascistes.

Je décide de retourner à la Grotte de Malvaux pour terminer ce pèlerinage. Mais on a changé d’heure et la nuit tombe vite. J’emporte avec moi quelques bougies, curieux de voir cette grotte à la lumière d’une flamme… La sainte sculptée qui trône au pied de la grotte est vraiment mystique avec cette lumière ! Pas de lune, pas d’étoile, pas de lampadaire, il fait vraiment sombre… Je suis seul au monde ! C’est bon.

Je rentre au gîte Maupertuis, près de la mare. Maupertuis, ça veut dire « Mauvaise terre » m’explique notre logeuse, Amandine. Je rentre dans l’allée et je ne peux m’empêcher de me demander si le voisin de nos logeurs ne travaille pas dans une entreprise qui vend de l’électricité. Il a des lampadaires extérieurs allumés de toute part. On dirait Dallas… by night. C’est n’importe quoi, franchement. J’allume la téloche, LCP et tombe sur un documentaire de Serge Moati sur les franc-maçons. J’apprends plein de choses sur les rituels. Incroyable ! Comment a-t-il pû filmer ça ? Je comprends quelques minutes plus tard  : il a lui-même été franc-maçon et dès le plus jeune âge, à 18 ans. N’empêche ! J’aime bien ce type et les films qu’il fait !

Le documentaire suivant est beaucoup plus sombre. Il traite des gaz de guerre et des massacres perpétrés avec leurs utilisations. Les kurdes ou encore les irakiens, les syriens… pour ne citer que les derniers peuples qui ont été victimes de ce type d’arme.

Je sombre dans le code html en parallèle…

Mercredi, je passe et repasse des coups de fil pour caler des tournages. Je relance les pistes, j’en zappe certaines. De toute façon, on ne pourra  pas tout faire. Il faut réduire la voilure. Voilà maintenant une semaine et demi que je dors en moyenne quatre heures et je ne vais pas tenir longtemps à ce rythme là… Personne ne le peut ! En vérité,  je pense vraiment que ceux qui nous disent le contraire et nous incitent à plus de productivité nous mentent. Je songe aussi à mes voisins agriculteurs qui avant de me connaître pensaient que les intermittents du spectacle n’étaient qu’une « bande de feignasses »… Pourtant, entre culture et agriculture, il n’y a que l’épaisseur d’une feuille de papier cigarette. En 2003, à l’époque où les troubadours étaient dans la rue pour bloquer les festivals estivaux français pour faire entendre leurs voix, il y eu « Le Cri » (cri collectif des intermittents en lutte) et un discours mémorable de Jean Georges, grande figure des Arts de la rue. Dans ma mémoire il disait à peu près ça : « le jour où les agriculteurs rejoindront la lutte de ceux de la culture, le pouvoir tremblera… ».
Je fais une parenthèse (Je vais vérifier mes sources avant d’aller plus loin. En fait il disait ça, Jean Georges, à Avignon, la veille de l’ouverture du Festival :
« Combattants de l’Art, la Culture est en danger ? Et bien, rendez dangereuse la Culture !
Tremble, Ministre de la culture sans art, désormais désarmé. L’artiste est une grenade et tu l’as dégoupillée. L’art est une arme de construction massive. L’art est vivant, réveillons les morts ! »
Malgré mes sources, je sais qu’il avait également relié l’agriculture à la culture;
Je ferme la parenthèse).

Miam-miam ? Non, pas encore, il faut que j’écrive.

La journée est paisible et j’en profite pour faire quelques tableaux que vous retrouverez dans le site. Personne aux alentours de notre bureau, que j’ai investi depuis le début de la semaine puisque je peux enfin me connecter au réseau. Je filme un vieil arbre mort aux abords de la fameuse cicatrice de bitume qui relie Poitiers à Niort. De jour comme de nuit, ça roule, ça roule.

Un autre tableau en ce début d’après-midi, la parabole de verre de l’Atelier du soleil et du vent. Composée d’une myriade de petits miroirs, elle me fait vraiment rêver, même si je ne sais pas vraiment à quoi elle sert. Elle est belle, vraiment belle… Il faut vraiment faire un truc avec toute cette bande !

Je continue d’organiser mes tournages. Pas facile avec ce pont à rallonge… les gens sont en congés. Je croise simplement Floran de l’Atelier. Il m’aiguille sur un possible tournage mardi prochain lors d’une soirée « réparation » où on lutte contre l’obsolescence matérielle… Ce sera avec Antoine et Mæva, à voir…

Dernier tableau, pendant que mon ordinateur fait des exportations. Je scotche notre carton découpé « Ailleurs » sur la fenêtre d’accueil de nos bureaux. Bizarre, pourtant, je me sens plutôt bien.

20h00. Je rentre au gîte, la connexion web du bureau ne fonctionne plus. Benoit, l’archiviste de la Comcom n’est pas là. Impossible de rebooter cette connexion. Un signe, encore un.

Je prends la route. J’arrive dans ma maison d’accueil. Je branche l’ordinateur sur la table du jardin à l’extérieur, face à la mare où nagent des carpes immenses. C’est paisible. Je lance le manger. Je suis seul, c’est donc spartiate. J’allume la téloche. Les membres de PIXEL[13] ne se nourrissent pas uniquement de pixels, même si nous en mangeons beaucoup…

L’une des seules chaînes que je supporte, c’est LCP qui diffuse des documentaires à foison. Pour moi, la télévision est un outil magique mais encore faut-il l’utiliser à bon escient. On sait, depuis les années 50, ce que produisent les images animées et le son sur le cerveau des téléspectateurs. Des ondes Alpha !  Les mêmes que notre cerveau émet lorsqu’il en état d’hypnose légère, ou encore lorsque nous sommes sur le point de nous endormir. En somme, peu importe le contenu, le médium colonise nos esprits, que nous le voulions ou non. Tous les spécialistes du cerveau le savent mais personne ne le dit vraiment. Et on continue de ne pas enseigner l’art de regarder des images, et encore moins d’en fabriquer pour mieux aiguiser son regard et se protéger ! En 2016, toujours pas d’éducation à l’image, ou quasiment pas, et en encore moins d’éducation aux réseaux et à leur utilisation.
C’est invisible, et donc c’est indolore. Un petit peu comme le nucléaire en somme. Voilà soixante piges que ça dure… Et aujourd’hui, le nouveau paramètre c’est Youtube (propriété du désormais nouveau dieu mondial Google). Et là, c’est un autre niveau, les images animées et les cerveaux… c’est à grande échelle, très grande échelle…

Je reviens à cette téloche… Le présentateur reçoit Jean-Frédéric Poisson, candidat à la primaire de droite et du centre. Toute la soirée est consacrée à ce que la chaîne appelle « Zap Elysée 2017 ». Une bonne soirée en perspective…  À chaque phrase que prononce l’invité, j’ai l’impression d’être dans le film « Invasion Los Angeles » de John Carpenter. Et ça fait peur, vraiment peur.
Tout va bien, ça touche à sa fin. L’émission qui suit, c’est ambiance « médecine, robotique, exosquelette », jargon « homme augmenté » et pub pour le transhumanisme. Nathanaël, jeune chercheur au CNRS est l’invité de l’émission. Lui aussi il m’énerve. Intéressant mais je mute le son pour écrire.

J’écris. Je lis. Je relis. Je corrige. Je regarde la pluie tomber sur la surface de la mare. Ce coup-ci, miam-miam. Dédicace à toi Myriam « miam-miam », ex de la Comcom… Ça a cuit et recuit pendant que j’écrivais ces lignes. C’est bon, les pattes à l’andouillette !

La téloche déverse toujours son lot de nouvelles. Je suis toujours sur Public Sénat, c’est l’heure d' »On va plus loin » avec un proche d’Emmanuel M., futur candidat à la présidentielle. J’arrête de manger, je reprends le clavier. Ce proche, c’est un industriel qui m’explique pourquoi Emmanuel, c’est ce qu’il y a de mieux.

Je retourne manger.

Il est tard. La téloche recommence à être intéressante. Dans l’émission « ça vous regarde », le thème est « Banlieues : souvent draguées, toujours zappées ? » Une invitée, membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel, invective un parlementaire PS : « Donnez-nous les lois qui nous permettront de lutter contre la discrimination dans les médias de ce pays, cela changera beaucoup de choses ». Bravo madame pour ce courage.

L’histoire de ce diagnostic culturel, évoqué par Sandra du Pays Mélusin, est inversement proportionnel à ce que je pensais produire : plus de paroles et moins de mots. WordPress m’indique que je viens de dépasser la moyenne de mots que nous avons produit jusqu’à ce jour sur le blog. Stop. Je vais faire des tableaux, des images ! De toute façon, les programmes TV dérapent. C’est l’heure du fait-divers. Au menu : les contre-façons de marques prestigieuses…

On est déjà en milieu de semaine. Ce matin une épaisse fumée dans les champs m’attire. Je cherche la source, c’est une entreprise de fabrication de charbon. Le propriétaire m’interdit de la filmer.

Rien de grave car aujourd’hui, je filme Alexis. Il est réalisateur, technicien audiovisuel, musicologue… et il vit à Cloué.

Vous pouvez écouter l’entretien avec lui, et voir quelques-unes de ses productions. C’est par ici.

Pour le contacter c’est alexis.blithikiotis@gmail.com

Vendredi, grosse journée, avec un tournage dans un silo, celui que j’ai appelé le « silo-colosse de Lusignan ». Ce géant de béton est sortie de terre dans les années 70. Il est le témoin muet de l’évolution de l’agriculture. Je fais le tour avec Pascal, responsable du site.

En soirée, je suis accueilli chez Elodie et Karlito. Je vais passer une bonne partie de la nuit à filmer cet incroyable artiste sculpteur / performeur. Lui, il se présente comme un recycle-artiste. Son domaine est le métal, la récupération de métal, avec lequel il crée des œuvres animées. Ce soir là, il travaille sur une guitare Gretsch pour la pierre tombale d’un ami…

Vous pouvez écouter mon entretien avec lui et voir quelques-unes de ses autres productions. C’est par ici.

Pour le suivre c’est facebook.com/madagascart

Fin de la semaine 4.

A suivre…

Semaine 3

24 – 30 octobre 2016

Julie et Fabien sont partis. C’est Alex qui prend le relais avec Karel. La semaine est tendue en terme d’emploi du temps. Après avoir fait beaucoup de ballades et nos repérages, glanages d’images et de sons, il faut désormais les monter, les encoder, les mettre en ligne et continuer à travailler sur le site. Il prend forme sur notre serveur local mais nous prévoyons de le faire migrer vers notre hébergeur. À la clé, si nous y parvenons, il sera accessible au public à la fin de la semaine. Cette satanée connexion internet devrait, elle aussi, arriver vendredi… On y croit ! Karel a sympathisé avec Gaël, le dépanneur informatique de Lusignan pour tenter de trouver des solutions alternatives avec la connexion de nos voisins, pour l’amplifier… ça marche mais ça rame.

Mais surtout, nous avons accumulé beaucoup de matière, et la traiter prend du temps. D’abord orientées nature et territoire, nous allons continuer nos captations sur les thématiques des quatre éléments. Progressivement nous tentons aussi de récolter des paroles et faire entrer de l’humain… C’est l’autre l’objectif de cette semaine. Les choix sont cornéliens. Nous avons déjà rencontré ou repéré de nombreuses personnes ressources vers lesquelles nous aimerions aller. Impossible de les voir toutes… et de faire l’indispensable rencontre humaine qui préside à toute acceptation d’être filmé ou enregistré. La méfiance envers les médias, que nous ne sommes pas, est désormais générale. Et on comprend bien cette position… De nos jours, essayer de capter une parole sensible ou sincère est devenu bien compliqué.

Les ateliers avec les jeunes de Lusignan et de Rouillé se préparent. Il y aura 22 jeunes de 12 à 15 ans. Ceux de Lusignan participent déjà cette semaine à un chantier. Ils vont construire un poulailler avec des palettes de récupération. L’objectif est de l’offrir à l’école afin de recycler les déchets alimentaires produits par la cantine. Quant à nous, nous leur proposons deux initiations. La première est encadrée par Alex et axée autour du light painting. Elle se déroule dans le grand entrepôt qui accueille les ateliers de la ville. Il faut faire un minimum le noir pour travailler sur cette technique photographique qui consiste littéralement à peindre avec de la lumière. Alex propose à son groupe de réaliser deux images autour de l’eau et du feu, avec les éléments de décors présents sur place.

Karel reste dans le studio de prise de vues aménagé dans nos locaux. Il propose une initiation au VJing, une technique vidéo qui permet de mélanger différentes sources d’images entre elles. Le dispositif est complété par un tournage en direct des jeunes, qui doivent inventer une situation en rapport avec les mix diffusés. Là-encore, des séquences liées à nos quatre éléments fondamentaux leur sont soumises. Ils comprennent très vite le dispositif et sont très réactifs. Une tonne de bonnes idées émerge. On rigole bien… mais ils sont aussi sacrément efficaces !

Le lendemain, Alex part en tournage de bonne heure pour aller filmer les éoliennes dans la brume matinale. Il fait également des plans larges du territoire avec ce qu’il nomme les « skyline » pour fabriquer des images où la ligne d’horizon est facilement découpable… Karel est dans le code jusqu’au coup. Les premiers montages sortent des ordinateurs, les encodages sont lancés et l’intégration suit son cours.

Sabine, Karel et Fabien écrivent des bouts de textes pour relater la création. Là-encore, l’écriture collective montre ses limites. Il faut trouver un ton général qui convient à toute l’équipe. Fabien est le premier a faire des propositions. Il faut valider les matières une par une, faire attention aux noms des lieux-dits, villages, villes et personnes nommés, sélectionner des photos, faire le tri et agencer la matière audiovisuelle… tout en continuant inlassablement d’organiser les jours qui suivent… Nous organisons des séances Skype pour se parler. Malgré les distances qui nous séparent, on a vraiment l’impression d’être dans la même énergie. Fabien a profité du week-end pour nous faire parvenir les images qu’il a produites la semaine passée.  Les mails fusent, les appels s’enchaînent , les discussions bouillonnent…

Pendant que Karel fait de courtes animations en stop motion avec les cartes du territoire (de la Cassini de 1750 à la carte IGN actuelle), Alex continue sa collecte d’images et de sons. Aujourd’hui, il part sur les traces d’un patrimoine invisible, lié à nos quatre éléments réunis. C’est un tournage clé et c’est à la Tuillerie Victot à La Boissière, près de Sanxay, où il est reçu par Benoît. Il travaille seul dans cet immense lieu familial où il fabrique des tuiles et des tommettes à l’ancienne. Alex tombe véritablement sous le charme de cette entreprise, de son histoire et de son implantation dans l’ancien lavoir du coin.

Il revient avec une description radiophonique, de superbes photos et des vidéos du lieu et un entretien au long cours avec le maître des lieux. Magique… Pour rencontrer Benoit et sa tuilerie, suivez ce lien
Un seul regret, on a loupé la dernière cuisson qui a eu lieu la semaine dernière. Pendant 50 heures, les tuiles sont cuites dans un four alimenté au bois. Les parois du four rayonnent encore de la chaleur plusieurs jours après que les tuiles aient été vidées. La prochaine fournaise aura lieu fin novembre, après notre résidence. Karel, celui de l’équipe qui vit le plus proche d’ici, se propose de trouver le temps pour revenir filmer cet évènement. En fait il faudrait prolonger cette résidence pour bien faire… La perche est tendue ! À bon entendeur.

Julie et Fabien avancent de leur côté sur le travail graphique de cette création. Les travaux sont secrets… pour le moment. Karel continue les montages.

Nous mangeons à midi avec Sandra. Sandra est la coordinatrice du Parcours d’Education Artistique et Culturelle « Spray, diffuseur de culture en Pays Mélusin » sur la Communauté de communes du Pays Mélusin. Elle est aussi la Chargée de développement culturel du Pays des 6 Vallées. Alex fait un point avec elle pendant que Karel continue ses montages à table, en attendant de manger… Sandra doit passer nous voir le soir au gîte pour  voir quelques images ainsi que le site en développement… à un endroit où internet fonctionne. Tout se passe bien jusqu’au lendemain, et une petite ligne en fin d’un mail que nous prenons comme un »scud missile ». Elle nous rappelle qu’il y a un paramètre qu’il ne faut pas que nous négligions dans ce travail  : « le diagnostic culturel », fruit du travail des acteurs du territoire. Un point inscrit dans le cahier des charges de cette résidence Spray et qui doit d’une manière ou d’une autre trouver sa place dans notre travail de création… Début de longues discussions entre nous, sur une vision de la culture qui nous semble bien technocratique, au regard de notre approche de cartographie élémentaire… Alex et Karel en parlent jusqu’à tard dans la nuit, et le lendemain un Skype de crise avec Sabine est organisé. Nous pensions tenir notre création mais elle prend un nouveau tournant… On aime ça !

Aujourd’hui, Alex a rendez-vous avec Clara Alonzo, responsable de ce que l’on nomme le petit patrimoine mais que nous considérons de notre côté comme le vrai patrimoine. Après une discussion à bâtons rompus sur son travail et sur le territoire, elle lui propose de la suivre voir le Four à chaux des Amilières près de Jazeneuil. Écoutez l’entretien avec Clara, suivez ce lien.

Après les éoliennes dans la brume, Fredy Poirier, maire de Cloué, très aidant dans nos recherches, nous met en contact avec un agriculteur. Impossible de passer à côté d’une collecte auprès des hommes qui travaillent la terre… Rendez-vous sur la route de Cloué dans un immense champ de terre où deux tracteurs labourent et sèment à perte de vue. Alex se pose avec son matériel photo et son enregistreur sonore dans le champs et poursuit ses skylines vidéo dans la brume matinale. Après le temps des labours, c’est désormais le temps des semis… De petites graines, qui bientôt produiront une plante dont on fera du pain ?

En cette fin de semaine à la fois fraîche et torride, le dernier tournage tourne autour d’un énorme chantier de construction d’une éolienne. Un colosse de 80 mètres et de centaines de tonnes qui va s’installer à la frontière de Coulombiers. On négocie de pouvoir monter dans l’une de celles qui sont déjà présentes et en fonctionnement sur le territoire. Le responsable nous prévient que c’est une opération délicate qui nécessite d’arrêter l’éolienne…

La semaine s’achève déjà, il faut faire des transferts de données, réaliser un backup complet, préparer la suite. On attend toujours une réponse pour pouvoir aller filmer l’immense silo de céréales qui domine Lusignan, le temps se resserre. On pense aussi qu’il faut trouver un lieu pour le 18, le jour de la restitution.

Vendredi en fin d’après-midi, les jeunes, font la présentation du poulailler qu’ils ont construit cette semaine. On se joint à eux, on monte un écran et on projette le résultat des atelier.s On parle des médias, des images toutes fabriquées et formatées qui nous sont proposées en permanence…

Fin de la semaine 3.

A suivre…

Semaine 2

15 – 21 octobre 2016

Le samedi 15 octobre, journée de passation de clefs et relais : Sabine et Alex partent, Julie et Fabien arrivent. Le projet se précise. Il prend forme doucement.

Il fait beau, et après une petite étude des cartes IGN, nous partons en ballade avec l’espoir de trouver quelques champignons. L’objectif est un petit lieu, une clairière au milieu de la forêt de Saint-Sauvant, au doux nom de la Branlerie.

Départ vers 14h, en passant par Celle-Lévescault, et arrivée au milieu de la forêt où nous laissons la voiture pour utiliser nos vélos. Pas de champignons sur cette terre peu arrosée cet été, des châtaigniers, un « site archéologique », peut-être les vestiges d’un fort ? On s’enfonce sur le chemin forestier en direction de la Branlerie. Des coupes de bois récentes on mis à jour des chênes centenaires et élancés. Plus loin la forêt est plus dense avec des résineux.

Panneau /// Forêt Domaniale de Saint-Sauvant

Un chemin de petit cailloux blanc nous mène au lieu-dit. C’est un ancien hameau en ruine, loin de tout, abandonné dans les années 40. Il devient le refuge des maquisards du pays qui libèrent en 44 le camp de prisonniers de Rouillé, peu de temps avant que les SS ne ripostent, n’encerclent le lieu et le détruisent par le feu. Les prisonniers seront torturés et fusillés à Saint-Sauvant. C’est donc pour nous un parcours lié à la Résistance et à l’histoire chargée du 20 ème siècle, une trace du passé parmi d’autres sur ce territoire.

On continue la ballade jusqu’à la nuit tombée dans ce bois, et, de retour à la voiture, la pleine lune apparait énorme, sublime et rousse à travers les arbres.

Retour sur Lusignan où les travaux en cours nous empêchent d’approcher le centre en voiture. Pour s’approcher de la Vonne, on prend en direction des Brousses et on arrive vers un groupe de maison à l’abandon. Le lieu est très beau, il se trouve à côté d’une source dite « La Fontaine aux Loups», et nous projetons d’y retourner dès que possible, en journée.

Retour au gite par Jazeneuil, joli petit village ancien, dont le vitrail éclairé de l’église attire notre attention. On nous a parlé du Musée du vitrail, il faudra le visiter… Les éléments eau, terre, air et feu semblent se retrouver dans la fabrication du verre, d’où notre intérêt pour cette pratique. Nous projetons aussi de revenir de jour.

Sur le chemin du retour, un écriteau « donne pierres » est accroché au tronc d’un arbre mort.

Les jours suivants, nous alternons entre rencontres, ateliers, recherches et bien sûr promenades de toutes sortes. L’automne amorce son travail de sape sur les arbres, qui changent de couleurs par paliers…

Nous décidons de revenir aux Brousses, direction le Moulin de la Touche et la Fontaine aux Loups.

C’ est très beau et la météo est de notre côté. Nous captons de nombreuses images, que nous dérushons chaque soir pour préparer le site et la restitution. Karel avance sur le site, le soir, tard, très tard. Le gîte est le seul endroit où le développement semble possible. La décision est prise de travailler avec WordPress avec un thème créée pour l’occasion et une approche orientée image plein écran. Outre le Blog, il y aura quatre entrées possibles via les quatre éléments. Le Blog montrera les dessous de la création, et des morceaux des « tableaux » (vidéos, photos, sons) que nous proposerons seront visibles, connectés entre eux via des boutons…

Les « totems » que sont les éoliennes, silos, châteaux d’eau, nous inspirent pour les ateliers graphiques et notre recherche en direction des mythes. Nous faisons escale dans un bois de châtaigniers centenaires, on parle des arbres magiques des mayas et on ramasse quelques fruits pour le lendemain. On se laisse tranquillement glisser le long de la Vonne, vers une réserve de poissons. Le propriétaire des lieux nous invite à sortir de sa propriété, un peu énervé. On ne savait pas que le site était privé… Merci pour les bonnes ondes…

La rencontre publique que nous organisons à la salle polyvalente de la mairie de Rouillé, ce mardi 18 octobre, nous amène comme souvent dans ce type de projet à un double constat : celui de la difficulté de drainer du monde sur un projet artistique « de territoire » et celui de l’intérêt manifeste des quelques participants présents. Madame Rochais-Cheminée, la maire de la ville, nous accueille chaleureusement. On se sent plutôt bien. Les discussions se poursuivent dans la soirée, autour d’un verre et de quelques agapes, et nous permettent de tisser des liens, de prendre des contacts et de programmer différentes visites : associations, personnes ressources, lieux atypiques. Et déjà, on commence à se dire « six semaines ça parait court »…

Les gens sont ouverts, curieux et accueillants, et la présentation que nous avons préparée permet aux personnes présentes d’en apprendre d’avantage sur les créations de PIXEL[13], sur notre démarche et notre immersion ici sur leur territoire.

Fabien, l’animateur de Lusignan, nous prête un Canoë pour naviguer sur la Vonne. Nous pensions au départ aller de Sanxay à Curzay, mais la retenue d’eau d’un ancien moulin (non visible sur la carte) rend la rivière impraticable en aval. Nous décidons de partir à contre-courant… La Vonne, que l’on traverse en voiture à maintes reprises sur le territoire depuis notre arrivée, est un fil sinueux qui traverse le pays Mélusin de part en part. C’est aussi paradoxalement un élément invisible, souterrain, à l’influence pourtant essentielle sur la géographie et l’écosystème du territoire.

Là-encore, les captations sont nombreuses et esquissent des cadres pour le projet artistique, notamment sur l’élément « eau », un des quatre que nous mettons sous nos lorgnettes attentives pour développer leur visibilité… Superbe ballade sur cette Vonne, peuplée de ragondins et ressemblant par endroit au bayou ! En Louisiane, un bayou se dit en langue Choctaw « bayuk » et  signifie « serpent, sinuosité »…

Au cours de cette semaine, les autres éléments sont aussi à l’étude, au hasard de nos pérégrinations. Le feu d’abord, via la découverte d’un brasier incandescent à la tombée du jour, véritable piton de la fournaise local en miniature, qui consume lentement les coupes de branches de l’été Mélusin, mais aussi de manière plus didactique, lorsque nous croisons à différentes reprises nos voisins de l’atelier « De l’air et du vent », association engagée sur l’énergie renouvelable et les chauffages alternatifs. Leur poêle de masse à l’état de prototype trône sur le parking commun à nos espaces de travail. Il alimente les conversations tout en consommant sobrement et efficacement des petits morceaux de bois. Le rendement paraît assez incroyable pour la taille du foyer, et les fumées sont réutilisées dans le process de masse, pour un dégagement là-aussi très modéré.

L’air est aussi présent, et nous sillonnons le territoire à la rencontre des nombreuses éoliennes qui se dressent dans le paysage. Là encore, nos voisins actifs sont précieux, et nous projetons de creuser ce sillon avec eux, notamment autour des techniques de fabrication d’éolienne « maison » qu’ils pratiquent régulièrement sur le pays Mélusin, sous forme d’ateliers ou d’installations pérennes chez les particuliers. La question de l’autonomie énergétique est primordiale, elle nous concerne tous, à l’échelle locale d’un petit territoire comme à l’échelle mondiale.

La terre, dernier des quatre éléments, fait également l’objet d’investigations et de captations d’images. Foulée par nos chaussures ou scrutée à la loupe en mode macro, nous gardons les pieds dessus… Retour dans la Volvo pour une ultime périgrination à Sanxay et ses alentours. On croise quelques monstres… Julie et Fabien sont à l’affût à la recherche de terre pour fabriquer les couleurs de la création papier qui émergera de ce projet…

Au retour de notre expédition, nous faisons une visite impromptue au Musée du Vitrail. Sa directrice, Clarisse, que nous avions croisée le mardi à notre soirée de présentation, et qui nous avait chaleureusement invité à passer quand on voulait, nous accueille. Nous rencontrons l’artiste en résidence au Musée, Monika, concentrée sur son projet qui prendra place dans la future Maison des services de Lusignan. Le premier « 1% culturel » en vitrail nous dit-on. Cerise sur le gâteau, nous bénéficions d’une visite du Musée rien que pour nous, après la fermeture, orchestrée par Clarisse, qui n’est pas avare d’explications malgré l’heure tardive. Foisonnement de couleurs, de graphismes, de Saints, de monstres, une collection d’œuvres classiques et des créations contemporaines que nous ne soupçonnions pas !

Nous avançons ainsi sur différents tableaux, et cela nous correspond bien : comme une sauce minutieusement préparée, nous concoctons notre présence ici et nos actions, à partir des ingrédients que nous y mettons, et ceux que les habitants nous offrent.

Le jeudi, Julie et Fabien rencontrent les personnes âgées et le personnel de l’association l’Escale, autour d’une discussion sur leurs parcours personnels, conclue par une séance de prises de vue. Les déficiences de chacun, dues à la vieillesse et à la maladie d’Alzheimer, ne facilitent pas les échanges. Les deux jeunes femmes qui s’occupent de tout ce petit monde nous orientent et nous donnent les clefs qui nous manquent pour comprendre le parcours de ces anciens, tous habitants du territoire. L’humeur est joyeuse et le moment source d’inspiration même si on sort bien brassés par ce type de moment.

D’autres ateliers commencent à s’esquisser : avec les enfants de l’école de Saint-Sauvant, grâce à Elisabeth, professeure des écoles, venue à notre pot d’accueil du mardi. Un autre se profile avec les jeunes de 12 à 14 ans de Lusignan  pendant les vacances de la Toussaint.

Nous étudions également une possibilité de faire des ateliers adultes avec SEI, l’association de réinsertion par la restauration et le bâtiment, située à Saint-Sauvant que nous rencontrons rapidement en fin de semaine, notamment pour voir avec eux également la possibilité de restituer publiquement notre travail au sein de leurs espaces. Leurs domaines d’activité et leur implication sociale sur le territoire nous attire vers cette solution, et nous sommes encouragés dans ce sens par l’équipe du pays Mélusin. La situation géographique semble intéressante, l’idée étant de ne pas forcément concentrer la visibilité culturelle du projet sur le point central que représente Lusignan. Sortir des « cathédrales de la culture » pour inventer d’autres lieux, d’autres espaces…

La semaine se termine, nous préparons les différents bilans et compte-rendus à remettre aux suivants, le dérushage des nombreuses images et la mise en place du site internet et de son blog, non sans difficultés. Notre connexion internet est la même que tous les habitants du territoire : précaire.

Nous décidons de clôturer cette semaine par une ballade aux Grottes de Malvaux. Le site est lui aussi en bordure de Vonne, enchassé dans les bois. Arrivés sur place, c’est une petite Lourde que nous découvrons, et la magie opère… Nous y restons des heures, nous les infidèles…

Fin de la semaine 2.

A suivre…

Semaine 1

10 – 15 octobre 2016

Le ciel est bas, maussade, le temps est à la pluie. En arrivant sur les routes du pays Mélusin, aux abords du marais Poitevin, qui semble bien porter son nom avec cette météo, nous pensons à la campagne des présidentielles américaines qui bat son plein de l’autre côté de l’atlantique…

PIXEL[13] s’installe ici pour six semaines en ordre dispersé, c’est-à-dire que nous choisissons d’opérer par équipes, selon nos disponibilités. Cette première semaine, ce sont trois membres de PIXEL[13] qui sont présents sur le territoire, pour amorcer cette résidence artistique : Sabine, Alex et Karel.

La semaine prochaine, ce sera au tour de Julie et de Fabien, accompagnés de Karel, d’arpenter le Pays, pour une première quinzaine d’immersion, d’observation, de prise de contacts et de captations tous azimuts.

L’internet sera le support de notre création ainsi que le moyen d’échanger entre les membres de l’équipe sur place et les autres, afin de tous rester en contact avec le projet. Un enjeu d’expérimentation supplémentaire dans nos modes de travail et de création collectifs.

La première séance commune sur Skype est dédiée au choix du titre du projet : « Mélusin visible », et sa traduction graphique en un logo sommaire, qui sera utilisé sur les différents supports de communication que nous allons diffuser (flyers pour inviter les habitants à des temps de rencontres, site internet, etc). Le logo met en forme notre intention sur ce projet, ces contours, ces contraintes. Mélus-in-visible, avec un pointage géographique sous le « in » : aussi bien présents, identifiés, que difficilement visibles (six semaines à trois sur un territoire vaste et peuplé de onze mille âmes environ). On ajoute une baseline « cartographie élémentaire », car nous comptons axer également nos recherches et nos productions autour des quatre éléments fondamentaux – eau, terre, air et feu. Ce sont des prétextes et des pistes pour construire une carte sensible et éphémère, également empreinte des notions plus évidentes que sont les sources, les ressources, eles limites, les contours, les frontières… Le jeu de mots « Mélus-in-visible », avec le préfixe « in » (« dans », « à l’intérieur » en anglais) nous permet aussi de rappeler par la sonorité la fée Mélusine (la star locale), et par extension les mythes, les monstres et l’imaginaire, autres axes que nous proposons à l’aube de notre projet.

Lundi 10 octobre, début d’après-midi, rendez-vous à Lusignan avec Fabien, en charge entre autre de l’animation avec les jeunes du Centre de loisirs. Nous visitons à cette occasion les locaux qui seront notre base : les anciens bureaux de la Communauté de Commune, à l’étage, moquette, parois en verre et look des années 80. Préfiguration des open spaces, des espaces de co-working à la mode en ce début de 21ème siècle. L’espace est chauffé, ferme à clés, et nous pouvons l’occuper à notre convenance jour et nuit. Par contre, contrairement à nos attentes, nous n’avons pas de connexion internet ! Le développement de la partie web du projet s’annonce ardue !

Les voisins sont  « L’atelier du soleil et du vent ». Ils opèrent sur les domaines de l’éco-construction, les énergies renouvelables, de l’autonomie énergétique… ils inventent, récupèrent et transmettent… Il y a Florent, Domotille, Antoine, Maeva… Très accueillants, ils nous proposent de partager leur connexion Wifi et de tenter de nous connecter depuis nos locaux situés à une trentaine de mètres. La perspective de ce voisinage actif tout au long de notre séjour ici nous réjouit, d’autant plus qu’ils disposent d’ateliers techniques très équipés, qu’ils nous invitent à utiliser si besoin.

Le lendemain, nous rencontrons James, directeur de Rurart et Sandra en charge de Spray auprès de la Communauté de communes. Première réunion où l’on parle de notre future création au présent !

Nous prenons concrètement possession de notre espace de travail. Déchargement, rangement des locaux pour évacuer les documents, poubelles et matériels oubliés du déménagement et laissés ça et là.

On fait le vide pour pouvoir s’approprier les lieux, s’organiser, se projeter. Les étiquettes des bureaux redeviennent vierges.

C’est aussi une journée de cadrage, nécessaire pour préparer nos interventions, pour exister collectivement et définir le processus de travail et les grands principes de l’architecture du site web avec l’envie de travailler le plus possible avec des outils open source, de fabriquer des images en Creative commons…

Le territoire, le cadre, le projet  s’enracinent petit à petit.

Les autres rencontres de ces quelques journées s’articulent autour des membres du personnel de la Maison des services, dans le centre de Lusignan : Marjorie à l’accueil, très prompte à nous fournir des éléments clés pour le début de notre activité (plans, informations diverses), David comptable et dépanneur réseau ! D’autres espaces de bureau nous sont proposés ici, associés à des moyens techniques mis à notre disposition et non négligeables (impressions grand format notamment), mais nous décidons pour l’instant de rester dans les anciens bureaux, désaffectés, car ils sont d’avantage « neutres », leur visibilité est moins associée à des institutions. Nous pouvons de plus y travailler hors des heures de bureau.

Nous amorçons notre démarche de collectes : images, témoignages, traces… Nous l’envisageons dans la perspective d’un rendu « final », qui devrait être une succession/juxtaposition d’impressions, de tableaux imbriqués les uns dans les autres… autant de productions et de restitutions qui se croiseront sur le site internet, et lors d’un moment public dont nous ne savons encore ni la forme ni le lieu.

Nous amorçons également l’organisation d »une série d’ateliers proposés à différents publics : enfants, adolescents, adultes… Il s’agit donc de contacter un maximum d’acteurs du territoire, de leur expliquer notre démarche, nos pratiques, et de caler sur nos temps de présence des demi-journées d’ateliers artistiques. Au programme, parmi nos champs d’action respectifs : light-painting, banc-titre, vjying, travail du son, linogravure, impression en typographie bois et plomb…

« La conception d’une carte a pour but de rendre visible l’invisible » J.H. Lambert

C’est en voiture que débute ce repérage du territoire, pour mieux se situer « dedans », mais aussi en avoir une vision globale et filmer les paysages.

Des plaines, des champs, des bois, la forêt, des cours d’eau, des mares, des chemins, la route, l’autoroute, la ligne de chemin de fer…

Des parcelles agricoles immenses, impressionnantes. Les paysans sont-ils les propriétaires ? Ou bien juste producteurs/activateurs au service d’autres plus importants qu’eux ?

Des châteaux d’eau, des silos, des éoliennes et quelques moulins, comme des phares au loin ou des ossatures, pour développer un imaginaire poétique et féérique.

Un sillon important qui traverse ce pays : la Vonne, affluent du Clain, que nous projetons de suivre, pour des vues au ras de l’eau et une découverte animale et florale, au plus près des éléments.

Un chemin de fleurs incroyable, tapis de cyclamens violets/roses, une ballade dans un conte de fées.

Un site gallo-romain, des promesses de force et d’énergie importantes dans les sols, liées au passé.

Les couleurs de l’automne, la brume, la lumière, très belle des fins de journée en cette saison encore épargnée par le froid. Un bien ou un mal ? Ce réchauffement climatique, petit à petit s’installe dans les habitude, faisant son œuvre…

Au détour d’un pont, on croise un indien avec ses branches sur le dos, au milieu de la route, un elfe sorti des bois, un yokaï, sorti de nul part et disparu peu après. Un vestige d’une époque, pas si éloignée à l’échelle de l’Histoire, où le pétrole ne régissait pas tous les déplacements, tous les chargements…

De grands espaces donc,  des paysages très beaux, et assez déserts, comme le sont de nombreux paysages de la France rurale. Des maisons abandonnés, à vendre, des hameaux en perte de vie, face à des lotissements neufs, posés là sans prise en compte apparente du pays sur lequel ils sont construits…

Une réflexion nous vient, comme souvent dans pareil cas de figure… cela semble sur le papier si simple d’accueillir ces populations en exil dont on nous parle tant, ces migrants qui fuient leurs propres terres, leurs propres maisons et leurs propres paysages, comme d’autres migrants avant eux, nous et d’autres, fuyant des territoires occupés par un envahisseur, un tyran, une guerre…

Karel décide de travailler en macro, sur de petites échelles : filmer la terre de près, son agitation mue par les insectes et les écosystèmes, comme un écho à ces grands paysages, à ces dimensions importantes. Pour alimenter le blog, c’est la technique du stop motion qu’il utilise.

Nous prenons le temps de nous immiscer sur le marché de Rouillé le vendredi matin, de perturber les habitudes, croiser quelques personnes, discuter et échanger de l’inspiration, expliquer aussi qu’on est là pendant six semaines, tels des géographes des premiers temps…

On déploie notre dispositif : le camion, un pendrillon noir, une carte, un fil à linge avec des torchons imprimés de photos montrant quelques unes des actions de PIXEL[13] depuis 2003, une table, des jus de pommes, du café et quelques gâteaux…

Derrière notre stand, se dresse cette très grande et ancienne carte du territoire, extraite du fameux fond « Cassini » datant de 1750. Nous l’avons trouvée dans les locaux qui nous sont attribués et elle permet, ce jour, d’accrocher les habitants sur le marché.

La carte, ça intrigue, fascine, interroge, ça fait causer. On rencontre Claudette qui s’occupe du placement sur le marché, Madame Braconnier (agent de la Police Rurale), Robert un vieil habitué, Philippe un vendeur de fromages de chèvres bio…

Nous achevons cette semaine avec un repas en présence de Vincent et Nicolas, membres de l’équipe de Rurart (Centre d’art contemporain de Rouillé). C’est l’occasion de parler à nouveau de nos intentions et de découvrir ce lieu incroyable et rare.

Fin de la semaine 1.

A suivre…